lunes, 5 de octubre de 2015

Vendredi lumineux (nouvelle)


                                               

Je vous l’ai déjà dit, monsieur : vous êtes mort, réitéra cette voix féminine, tranchante, impersonnelle, à l’autre bout du fil. Disons que c’est ainsi que vous figurez dans notre base de données.
César ne savait s’il devait en rire ou succomber à l’indignation.
     Si j’étais mort, répondit-il, je pense que je serais au courant.
Face à l’impatience qu’il percevait à l’autre bout du fil, il prit un crayon et coucha les consignes dictées par cette voie mécanique et froide. « Sacrée femme », se dit-il. « Elle vous dit que vous êtes mort comme si de rien n’était. »
– Avez-vous des questions, monsieur ? demanda la femme. Bon, dans ce cas, je vous souhaite une bonne journée.
Après avoir raccroché le combiné, il resta perplexe quelques instants. On voulait le faire voyager jusqu’à la capitale alors qu’il n’avait pas quitté sa maison depuis des années ? C’était hors de question. Il n’irait pas. Il avait appelé le Centre de Sécurité Sociale parce que sa voisine (qui, moyennant une mensualité symbolique, s’occupait de faire ses courses et de toucher sa retraite) lui dit ce matin-là, après avoir fait la démarche, qu’on n’avait pas voulu lui donner l’argent.       
Il prit place dans son fauteuil et ouvrit un livre, mais il ne parvenait pas à se concentrer. Lorsqu’il relut la même page pour la troisième fois, il comprit qu’il n’aurait de répit qu’une fois le problème résolu. Avec nonchalance, il enfila un pantalon en velours, son manteau noir et une paire de bottes sombrées dans l’oubli au fond d’un placard. Il ouvrit le tiroir où il rangeait ses pièces d’identité (elles avaient en effet, comme l’avait bien dit sa voisine, expiré depuis une semaine) et sortit la chemise qui, une fois par mois, lui permettait de toucher sa retraite. Il disposa le tout dans une sacoche usée qui datait de l’époque où il était représentant de commerce. Il chercha des photos de lui ; il ne les trouva pas. Il détestait se faire prendre en photo. Encore une chose désagréable à laquelle il allait devoir se soumettre aujourd’hui. Il prit son médicament et regarda sa montre. Dix heures cinq. Il descendit les marches de son petit immeuble et, surmontant sa peur, gagna la rue.
C’était un matin blanc. Il y avait longtemps qu’il ne sentait pas le vent sur son visage et il ne se souvenait plus de la sensation que lui procuraient ses pieds lorsqu’ils s’enfonçaient dans la neige. Il devait voyager. Il n’avait pas le choix. Ce n’était pas une question d’honneur ni une question d’argent ; il pressentait les funestes surprises que cet appel allait entraîner. Il se dit : « On commence par vous dire que vous êtes mort, puis on vient chez vous, on vous chasse à coups de pied, et ensuite on vous enterre dans un asile. » Car, le moment venu, comment allait-il démontrer qu’il était César Díaz ? Qui allait pouvoir confirmer ses propos ? Il n’avait pas d’enfants et, depuis longtemps, son ex-femme partageait sa vie avec un autre homme. Il avait perdu ses traces. Ses amis les plus proches étaient morts et les autres, éparpillés aux quatre coins du monde. Et c’était mieux ainsi. La voix de cette femme l’informa qu’il disposait de huit jours pour se rendre au Centre National de Sécurité Sociale, muni de ses pièces d’identité et de photographies récentes. Sa première tâche consisterait à établir son identité ; la seconde, à signifier son existence. Il entra dans la gare et, souriant amèrement, se rappela une de ses phrases préférées : « C’est à croire que tous les cons de ce monde se sont mis d’accord. »
Il monta dans le train et s’installa près d’une fenêtre. Il ferma les yeux et respira profondément. Il entendit une voix aigüe. Il se crispa, ouvrit les yeux. Assise face à lui, une fillette lui dit « bonjour ». À ses côtés, la mère de celle-ci lui sourit. César se leva, prit sa sacoche et alla s’asseoir dans un autre wagon. Lorsque le train à destination de la capitale quitta la gare, il regarda pour la dernière fois la neige sur les toits, la fumée des cheminées, le fourmillement des gens de sa petite ville. Il observa ces tableaux vivants à travers la fenêtre rectangulaire qui tremblotait. Du fait de son départ, ils recouvraient à ses yeux leur éclat oublié, un charme éphémère. Il vit défiler des paysages enneigés, des bourgades isolées, des lumières éparses dans le brouillard. Il s’étonna que tout cela lui procurât une si agréable sensation. Il ferma les yeux et respira profondément.
Il fut réveillé par le crissement du train. Il regarda par la fenêtre. Il s’engouffrait dans la gare de la capitale. Il s’était soustrait, mine de rien, aux trois heures et demie que durait le trajet. Dans une cafétéria du hall d’entrée, il acheta un sandwich et demanda un plan de la ville ainsi que les horaires des transports en commun. Après tant d’années, il n’était pas certain de parvenir à se déplacer seul dans la capitale. Il demeura quelques instants face aux portes vitrées automatiques, écoutant craintivement les bruits qui lui parvenaient de la rue. Lorsqu’il sortit, il fut ébloui par un large boulevard de peupleraies enneigées qui semblaient fondre au soleil de quinze heures. Il s’assit sur le seul banc sec qu’il trouva et mangea son sandwich jambon-fromage tandis qu’il regardait les gens passer. Des hommes parés d’un manteau, une écharpe et une sacoche, des garçons et des filles aux cheveux tout aussi longs les uns que les autres qui portaient leur sac sur le dos, des femmes en talons aiguilles qui embaumaient l’air sur leur passage. À quand remontait la dernière fois où il s’était assis au soleil ? Il ferma les yeux et se concentra sur la douceur qui enveloppait son visage. La rumeur des pas s’avérait agréable, hypnotique. Il ouvrit les yeux et fut pris d’une envie inavouable de se fondre dans la foule. Il finit de manger et se leva. Il marcha le long d’un pâté d’immeubles au milieu des gens, puis, comme s’il eût à se justifier, il sortit le plan, le déplia et dut se rendre à l’évidence que c’était dix fois cette distance qui le séparait du Centre de Sécurité Sociale. Non loin de là, se trouvait un arrêt de bus. Le plan déplié dans ses mains, il s’arrêta quelques instants. Il se remit à marcher. Pourquoi était-il si pressé ? Cela faisait des années qu’il n’avait pas visité la capitale. Il traversa le boulevard et s’enfonça dans des rues qu’il ne connaissait pas, cherchant juste à épouser les bandes ensoleillées de la chaussée. De temps à autre, il regardait le plan pour ne pas s’égarer mais, dès qu’il eût gagné le Jardin de l’Évêque, il rangea le plan dans la poche de son manteau et ne le sortit plus. Il s’était souvenu du chemin à suivre pour arriver jusqu’au centre et cela le rendait confiant. Il regarda le portail en fer verdâtre et, derrière celui-ci, les allées recouvertes de gravier qui s’enfonçaient dans le jardin, au milieu des parterres sans fleurs et les fontaines cendrées. D’un pas ferme, il entra dans le jardin. Il alla jusqu’à la mare de sa jeunesse universitaire et se regarda dans l’eau. Il s’égara dans les allées, dépassant les mères qui conduisaient lentement leurs poussettes à l’intérieur desquelles se trouvaient leurs bébés couverts jusqu’aux yeux, il gravit la colline qui se trouvait au centre et d’où l’on pouvait voir le dessin géométrique des jardins, il jeta les miettes de pain restantes aux pigeons qui se mirent à tourbillonner autour de lui et il eut même encore le temps d’entrer dans un vivier qui n’existait pas du temps où il était étudiant. Là-dedans, l’odeur de la fougère le ramena, des années plus tôt, dans le lit d’une femme sans nom dont les jambes le prenaient en tenailles.


Lorsqu’il quitta le jardin, les immeubles avaient déjà assombri les rues les plus étroites. Il décida de retourner sur le boulevard et de continuer tout droit vers le centre. Il passa devant le Café Vingtième Siècle et se revit assis, bien plus jeune, face à cette baie vitrée, une tasse de café dans sa main et sa sacoche posée à ses pieds. Il fut pris d’une envie d’y entrer, mais l’ombre des immeubles était sur le point de gagner le trottoir où il se trouvait et une brise glaciale commença à souffler. Il mit son écharpe autour du cou et referma les boutons de son manteau. Il vit un arrêt de bus un pâté d’immeubles plus loin mais, lorsqu’il l’eût rejoint, il se rendit compte qu’il ne se trouvait qu’à quelques rues de son lieu préféré de la capitale. Il regarda sa montre. Il était seize heures trente ; rien ne pressait. Lorsqu’il arriva sur la grande place il faisait encore un peu jour et les gens, qui affluaient des rues voisines, s’asseyaient sur les quelques places restées vacantes aux terrasses des cafés. Les rues adjacentes étaient déjà sombres. On eût dit, lorsque les réverbères s’illuminèrent, qu’elles s’offraient à lui et il décida de s’y aventurer. C’était une rue à l’image de toutes celles de la vieille ville, pavée et froide, mais elle avait du charme. L’éclairage des commerces se reflétait sur le pavé humide tandis qu’une douce odeur de viennoiseries embaumait l’air. Aussitôt qu’il l’eût sentie, il se mit à marcher n’ayant pour guide que son odorat. Cette odeur venait d’un peu plus loin, encore et toujours d’un peu plus loin, tandis que sur les côtés se succédaient bouquinistes, bijoutiers, artisans dans leur atelier, cafés. Il ne s’arrêta de marcher que lorsqu’il déboucha sur un autre boulevard. Il était vraisemblablement passé devant sans le remarquer. Lorsqu’il revint sur ses pas, il fut surpris d’avoir marché sur une telle distance et se dit que, de toute évidence, il n’avait pas parcouru une seule mais plusieurs rues sinueuses qui se succédaient comme à l’intérieur d’un labyrinthe. Avait-il parcouru, sans se rendre compte, toute la vieille ville ? À une cinquantaine de mètres de la Grand-Place, il tomba sur une cafétéria où l’on pouvait voir des viennoiseries en vitrine. Il supposa que c’était celle qu’il recherchait et y entra. Il s’apprêtait à s’asseoir lorsqu’il découvrit, sur la pendule accrochée au mur, qu’il était dix-sept heures dix. Son cœur fit un bond. « Et merde », laissa-t-il échapper avant de partir comme une flèche. Sur le chemin de la Grand-Place, il pressa le pas. D’ici une bonne demi-heure tout au plus, le Centre de Sécurité Sociale allait fermer ses portes.
Il marcha face au vent glacial. Un taxi passa près de lui et le chauffeur lui fit signe qu’il roulait à vide. Il ne l’arrêta pas. Sur son chemin, il trouva un photomaton. Il se glissa à l’intérieur et prit sa photo d’identité. Il n’eut même pas le temps de regarder le résultat. Il s’empara de la planche qui contenait les quatre photos identiques, l’agita brièvement et la glissa dans sa chemise. Il se remit à marcher, regarda sa montre, se mit à courir. Il aperçut l’enseigne lumineuse de la Sécurité Sociale et choisit de franchir, toujours au pas de course, la distance qui l’en séparait. Il devait y avoir une cinquantaine de mètres. Hors d’haleine, il s’arrêta, les mains sur les cuisses et pris d’une soudaine envie de vomir. Lorsqu’il retrouva son souffle, il leva les yeux vers l’immeuble dont les fenêtres, en quantité vertigineuse, disparaissaient tout en haut.  Il gravit les marches en pierre et poussa la lourde porte d’entrée. Il y avait cinq bureaux alignés. Derrière le premier, une dame d’un certain âge raccrochait le combiné. Les autres bureaux étaient vides. Un peu plus loin, il y avait une salle d’attente avec une table ronde au milieu et, posés sur celle-ci, des tas et des tas de vieux magazines. César, résolu à exposer son cas, s’avança jusqu’au bureau.
– Vous devez monter au troisième étage, l’interrompit la dame. Dépêchez-vous, nous fermons dans dix minutes.
Il marcha jusqu’à l’ascenseur.
     Il est en panne, dit la dame, puis elle lui indiqua une porte au fond du hall.
              Il ouvrit les boutons de son manteau, respira profondément, s’avança jusqu’à la porte et l’ouvrit. Il commença l’ascension d’un escalier en colimaçon cerné par des parois de verre. Premier étage. On avait déjà allumé les néons au plafond mais le soleil, d’une puissance agonisante, dorait encore les marches en marbre. Deuxième étage. À travers l’immense baie vitrée, il regarda les toits des vieilles maisons du quartier ainsi que, tout au loin, les lumières colorées de la Grand-Place. Il n’y avait pas tant de lumières dans ses souvenirs. Mais il ne pouvait pas s’y attarder. Troisième étage. Il s’arrêta face à la porte d’entrée, reprit son souffle et la poussa. Une salle d’attente. Une seule personne s’y trouvait, assise contre le mur du fond. C’était une jeune femme. Sorti tout droit d’un bureau, un individu passa près de lui sans le regarder et dévala l’escalier. Aussitôt, en caractères rouges, le numéro 734 s’alluma sur un écran encastré dans le mur. La jeune femme se leva, s’avança vers la porte, entra et referma derrière elle.
     En quoi puis-je vous aider, monsieur ?
Il regarda autour de lui. En face, debout derrière son bureau, un homme entre deux âges l’observait d’un air impatient. Il s’approcha lentement et l’employé regarda sa montre levant les yeux au ciel. Il n’eut pas le temps de poser sa chemise sur le bureau que l’autre lui dit :
– C’est déjà fermé ici, monsieur. Avec un peu de chance, on s’occupera de vous là-haut.
     Comment ça là-haut ? demanda César.
     Au cinquième étage, monsieur.
     Mais tout ça n’a aucun sens.
Nous sommes vendredi, monsieur, répondit l’autre, comme si cela eût suffit à tout justifier.
La jeune femme sortit du bureau et une fonctionnaire lui succéda, fermant la porte à clé et dévalant l’escalier.
– Vous êtes sûr qu’on va s’occuper de moi au cinquième étage ? demanda-t-il.
L’employé se retourna vers une table adjacente, mit de l’ordre dans quelques documents et enfila sa veste. Il dit :
     Essayez, vous n’avez rien à perdre. Et il s’éloigna vers l’escalier.
Il regarda sa montre. Il manquait encore onze minutes pour dix-huit heures, mais l’immeuble semblait déjà désert. Son regard se troubla et il s’agrippa au bord du bureau pour reprendre des forces. « Est-ce que vous vous sentez bien ? » entendit-il. Il ouvrit les yeux. C’était la jeune femme.
     Je dois arriver au cinquième étage, dit-il.
La jeune femme s’enquit :
     Vous êtes sûr que ça va ?
     Je suis vivant, mais on ne me croit pas.
              Elle cligna des yeux.
     Évidemment que vous êtes vivant.
     C’est à eux qu’il faut le dire. Et il montra du doigt le bureau.
               Comme si tout à coup elle comprenait, la jeune femme le regarda, consulta sa montre et lui dit :
     J’ai quelques minutes. Si vous voulez, je vous accompagne.
              Il hocha la tête. La jeune femme lui offrit son bras. Ils commencèrent à monter l’escalier ensemble. Quatrième étage. Il faisait déjà nuit noire. Il regarda à travers la vitre. C’était comme si on avait allumé toutes les lumières de la ville.


                       Ils arrivèrent au cinquième. Il se sentait mieux et s’apprêtait à ouvrir la porte mais la jeune femme le devança. Le bureau se trouvait plongé dans la pénombre. L’éclairage, rare et mouvant, provenait de l’extérieur. Ils s’avancèrent jusqu’au bureau. Une note écrite au feutre était posée sur celui-ci. César saisit la feuille et, plissant les yeux, il lut à haute voix : « Merci de bien vouloir vous rendre au septième étage. »
           On entendit des bruits de pas qui venaient de l’étage au-dessus et qui, dévalant l’escalier, s’éloignèrent. Il dit :
           – J’espère que ce n’est pas celui du septième, n’est-ce pas ? Parce que si c’est ça…
     Je dois partir, l’arrêta la jeune femme.
     C’était un plaisir. Vous êtes un ange.
         Vraisemblablement peu habituée à ce genre de remarques, elle le regarda ébahie. Puis elle s’éloigna vers l’escalier.
        Il sortit du bureau et, s’aidant de la rampe, il reprit son ascension. Sixième étage. À présent, les objets se dévoilaient tous dans une lueur qui, mourante, évoquait celle des caves. L’éclairage avait-il changé ou ses yeux étaient-ils fatigués ? Il arriva sur le pallier. Un peu plus haut dans l’escalier, une ampoule jaunâtre éclairait la porte qui menait au septième. Il monta, ouvrit la porte et entra.
         Il faisait noir. Derrière lui, la porte se referma petit à petit et il n’y eut bientôt plus que la lumière qui filtrait à travers les fentes de celle-ci. Il eut froid. De sa main libre, il chercha à tâtons, sur le mur intérieur, l’interrupteur. Il ne le trouva pas. Alors, de l’autre côté, un clic se fit entendre. Il se retourna vers la porte. Maintenant il était plongé dans l’obscurité la plus absolue. Il avança à l’aveuglette jusqu’à trouver le mur. Il sentit sur son coude une douloureuse décharge électrique et n’eut d’autre choix que de laisser tomber la chemise. « Et merde », laissa-t-il échapper d’une voix étouffée, comme engloutie par l’obscurité. Il s’était cogné. Il tâta des tuyaux verticaux qui devaient être métalliques. Il songea à chercher la chemise, mais ne le fit pas. Il s’écarta tout juste d’un pas, puis deux, puis trois, après quoi il se retourna et, les bras tendus devant lui, il avança vers le mur. Il sentit grandir en lui un mélange de confusion et d’anxiété. Soit tout s’expliquait par la perte de repères dont il était victime, soit le mur avait disparu. « Ce n’est pas possible », se dit-il et, marchant longuement les bras tendus devant lui, il ne trouva rien d’autre que de l’air. Un air de plus en plus froid et humide, un air qui sentait la poussière.
          On entendit une porte claquer. « Hé, vous ! » eut-il envie de crier, mais sa voix  resta prisonnière dans sa gorge, étouffée. Quelque part au loin, jaillit le faisceau d’une lanterne pour aussitôt disparaître. Il déglutit. Il dit : « Écoutez-moi ! », et presque sans voix, il ajouta : « Vous ! » Il crut entendre des pas retentir et le bruit d’un portail qui se refermait. Il se mit à courir. Au milieu de ses halètements, il crut entendre un bref tintement de chaînes, comme si quelqu’un verrouillait le portail de l’extérieur. Il eut envie de laisser échapper un cri, un cri d’animal, mais il n’y parvint pas.
           Comme il sentait que l’air lui manquait, il interrompit sa course. Il crut entendre ou plutôt sentir quelque chose, comme s’il y avait, derrière lui, une présence muette. La peur le saisit. Il pressa le pas. Ses yeux ne s’adaptaient pas. Où diable était-il ? Soudain, ses doigts transis touchèrent un mur. Il l’explora à tâtons jusqu’à ce qu’il trouvât une ouverture. Il s’avança et le sol céda, ce qui le fit tituber périlleusement. Il s’accrocha à quelque chose. C’était une barre, une barre de fer. Sans la lâcher, il hasarda un pied vers le bas, puis l’autre. Était-ce l’escalier de service ? Sa main glissa le long de la barre et des pas se firent entendre. Soit il s’agissait des siens, soit quelqu’un le suivait dans le noir. Il accéléra, talonné par le bruit des pas.
          Il crut voir un point lumineux. Il trébucha et tomba. L’espace d’un instant, quelque part devant lui, là-haut, il le revit. Il se releva meurtri. En proie à l’urgence et au vertige, il progressa encore une fois dans l’obscurité. Cette petite lumière était-elle bien là ? Était-elle réelle ? Un léger barbotage se fit entendre. Il cherchait désespérément la lumière. Il heurta quelque chose. Une douleur intense envahit son genou. Il tendit l’oreille. Silence. À présent, le point avait disparu. Était-il en train de perdre la tête ? À tâtons, il découvrit une forme. Il en devina les contours. Était-ce une cuvette ? Il chercha le couvercle, le trouva, le rabattit. Posant un pied, puis l’autre, il monta dessus. Il était là. Le point lumineux était bien là. Il tendit son bras dans cette direction et toucha une surface glacée. On aurait dit du verre. Était-ce du verre teinté ? Son cœur se mit à battre à tout rompre. Il jeta son coude en arrière et décocha un coup de poing qui écorcha le revers de sa main. Avec rage, il frappa de nouveau, on entendit un éclat de verre et, à cet instant, un rayonnement l’aveugla.



Guillermo Ruiz Plaza, Ombres d'été, 2015
Version française de Margarita Sánchez